1.16
Arrivée vers trois heures trente-et-une. Elle s'était garée sur une place, un peu éloignée de la maison, un endroit où personne n'enverrait de blanc d'œuf sur le pare-brise.
Arrivée vers trois heures trente-et-une. Elle s'était garée sur une place, un peu éloignée de la maison, un endroit où personne n'enverrait de blanc d'œuf sur le pare-brise. Elle ne peut pas me dire le nombre d'habitants du village mais sait qu'il y aura des courses de taureaux ce weekend. Ce soir ce sera plage. Pour le moment, je finis le thermos de café encore tiède qui a fait le voyage avec nous.
Il est treize heures quarante-cinq. À peine levé, j'entre le code du réseau sur la tablette. Je soupçonne le dernier fan de glam' rock d'habiter le village. Il signifie sa présence en jouant si fort ses tubes favoris que leur murmure s'entend jusque dans le salon.
C’est déjà la seconde fois qu’elle s’étonne, comme si elle ne me connaissait pas, de me voir sur des écrans. Ma partie se termine et la séance d'écriture commence. Elle a mis de la musique pour couvrir le chuintement rock qui s'immisce toujours dans la pièce. Ça vient en fait de la place du village. La sono de la fête qui se monte est en test. Un homme fait des « Un » et des « Deux » dans le micro. Il fait très chaud. L'air tiède fait sentir sa caresse sur la peau de ma main. Mes cuisses, moites, collent sur le simili cuir du canapé blanc. Ça sent l'humidité et le parfum d'ambiance. La rencontre improbable de ces odeurs sur le vieux rose du décor évoque la crème hydratante bon marché qu'on utilise après les bains de soleil dans les stations balnéaires. On retrouve ce produit en tête de gondole pendant la saison estivale comme on trouve des chewing-gums le reste de l'année.
Dans la file d'attente à la caisse automatique du supermarché, tout le monde est bien à sa place. On veille à laisser passer ceux qui terminent leurs achats. La lente procession forme une courbe puis file droit, perpendiculaire aux têtes de gondoles, vers l'entrée du magasin. La personne en charge de la supervision des opérations est assise sur un tabouret haut. Postée face à une petite table ronde d'où elle contrôle un unique bouton. Celui-ci commande la porte vers la sortie pour les clients, après vérification de leur justificatif de paiement. Vêtue d'un gilet sans manches aux couleurs de la marque, elle porte un badge disproportionné sur le cœur qui mentionne son nom et sa fonction : « responsable de caisse ». Ce titre semble un peu absurde puisqu'elle ne gère pas les caisses. Elle supervise les clients dociles qui passent, les uns après les autres, pour scanner leurs produits et payer. Elle intervient de temps en temps pour annuler un enregistrement erroné ou valider une offre promotionnelle mais le reste du temps, elle peine à ne pas s'endormir. Elle lutte, en pressant régulièrement sur le poussoir de son stylo bic à pointe rétractable, pour garder les yeux ouverts. Ses fesses, moulées dans un jean coupe slim, débordent de son tabouret. Sa position doit être très inconfortable puisque ses jambes ne sont pas assez longues pour lui permettre de toucher le repose pied. Elle a un rôle de surveillant. Elle veille à ce que les acheteurs accomplissent l'enregistrement de leurs achats en bonne et due forme. Elle est aidée en cela par une petite série d'écrans, reliés à des caméras de surveillance, placées au dessus de chaque borne d'enregistrement. Elle porte un trousseau de clef et une carte autour du cou. Ils lui servent à déverrouiller les appareils en cas d'intervention.
Ces caisses automatiques sont utilisées par la majorité des clients. Elles sont la preuve d'une victoire des enseignes de la grande consommation sur la société. Elles réussissent à vendre comme un service aux clients serviles l'oblitération d'un poste de travail. L'employée de caisse disparaît. Ses tâches sont désormais accomplies par une machine et le client qui passe les articles devant le lecteur de code-barres ou sur la balance. Un certain nombre de dispositifs de contrôle vérifient la qualité de sa saisie et une personne humaine est en charge du bon déroulement des opérations pour un nombre défini de postes. Nous obéissons, en rang, à un ordre muet. Il n'y aura bientôt plus besoin d'adresser la parole à qui que ce soit dans ces grandes surfaces. Un jour, cet employé qui peine à rester éveillé sera remplacé par une autre caméra et un autre programme.
Dans cette file, on est en bas de l'échelle de la docilité servile. Avant, quand on voulait rabaisser quelqu'un et insulter son intelligence, on lui prédisait un avenir comme caissière. Maudits, ici, c'est moi, c'est nous les agents de caisse. Je trie mes déchets et je les apporte aux containers de collecte de quartier. J'ai pris une place dans la chaîne des services. je suis un maillon indispensable de la société à laquelle je participe en faisant le bon geste. Beaucoup de maillons ont disparus de cette chaîne qui réduit la distance entre l'usine et le consommateur. La personne qui vérifiait pour moi le contenu de mon caddie, l'emballait et encaissait mes achats est en voie d'extinction. Celle qui collectait et triait mes ordures aussi. Je me demande quel boulot de merde les a remplacées ? Est-ce que ce sont tous ces cyclistes qui font des livraisons ? Ces gens qui payent pour pouvoir apporter des plats préparés dans des bureaux à midi, est-ce que ce sont eux qui dominent le monde ? L'argument c'est l'impact carbone. La livraison n'est plus un luxe anti-écologique. En plus ils peuvent arrêter quand ils veulent. Pour certains c'est un loisir, ils aiment le vélo. Il n'y a pas de contrat à durée indéterminée, c'est comme s'adonner à sa passion et être payé pour le faire. Je me dis que l'ingratitude de la tâche a été remplacée par la précarité de l'emploi présenté comme une attitude dilettante du salarié.
Toujours dans la file, je me demande si ce n'est pas un peu comme les animaux qui attendent dans les fermes d'élevage intensif, la peur qui fait qu'on ne dit rien. Tout est bien rangé mais tout est optimisé au nom du service. Je crois que la seule chose qui est réellement optimisée, c'est l'économie. Je trie moi-même mes déchets pour qu'ils soient recyclés, transformés en produits de consommation ou en carton d'emballage et je les achète de nouveau avec ma pizza livrée en vélo. Je fais un geste pour l'environnement, sans bouger de mon canapé. Je regarde le foot ou un film, « OKLM », sur mon écran disproportionné, persuadé d'avoir tout fait bien comme on m'a dit de le faire. Pendant ce temps, tout se dégrade, des gens perdent leurs emplois et le moment où il faudra choisir entre vendre la télé pour manger et regarder la finale de la coupe du monde se rapproche. J'ai pourtant fait tout ce que je pouvais. J'ai fait tout ce qu'on m'a dit et presque tout le monde, comme moi, fait les choses « bien ». Pourquoi ça ne change rien ?
C'est mon tour. Je pose le contenu de mon caddie dans le bac de gauche et suis les indications de l'automate en passant chaque article devant le capteur. Je paye. J'attends que la machine m'y autorise et j'emballe mes achats avant de partir. Je salue le responsable de caisse qui en réponse se fend d'un sourire mécanique et valide ma sortie en pressant sur un bouton qui ouvre le portique devant moi.
Ça sent le vieux ou c'est moi ?
C'est une installation, un monticule de crème hydratante. Plusieurs centaines de boîtes bleues ont été vidées pour former un tas immaculé et luisant d'un peu plus d'un mètre de haut. Le parfum capiteux de cet édifice mou emplit l'espace d'exposition au soir du vernissage. Le représentant du partenaire et mécène de l'événement s'amuse et se réjouit de l'effet produit. C'est écoeurant et plaisant comme une jouissance vulgaire. On ne sait pas vraiment, à ce moment-là, si ce parfum vient de ce tas ou de l'attroupement des convives apprêtés. Tous ces corps aux senteurs synthétiques bourdonnant et tintant, causant et trinquant à la santé d'un objet fait de gras, d'alcool, d'eau et de parfums.
Le vernissage terminé, le talus blanc reste. Il est dérisoire dans l'espace où il est posé. Son odeur emplit l'espace. Elle sature tout et impose le silence. L'écho des pas des visiteurs fait résonner le vide devenu religieux. Plus tard, sous l'effet de la température ambiante, le gras a commencé à fondre, se séparant de l'eau. Une flaque saumâtre stagne au pied de l'amoncellement d'émulsion. Derrière le parfum lavandé se dessine une senteur malsaine. Des effluves de moisi se lisent insidieusement. L'ambiance met mal à l'aise comme la présence d'un corps malade en exhibition.
L'exposition s'achève. Le monticule est presque plat. Piqué de points verts et de traces jaunes, il est en décomposition. Ça sent la charogne et l'eau de cologne. Entrer dans la pièce est une expérience violente. La visite se fait avec une main sur le visage pour atténuer le malaise. Le public gémit et ne reste que quelques secondes. De grosses mouches goûtent les parties blanches de ce qu'il reste. C'est elles qui ont la vedette et le mot de la fin. Elles bourdonnent dans la nef comme un vol d'étourneaux. Il reste aujourd'hui, sur le sol de béton, une auréole indélébile de cet évènement.
Impossible de deviner l'heure qu'il est. L'estomac est en général un bon indicateur mais il est déréglé pour cause de veille tardive. Le jardin, visible par la véranda est à moitié dans l'ombre de la maison. Assis face à la cage de verre, je regarde dehors. D'ici, la lumière est très vive. Elle est réfléchie par les reflets du gazon bien tondu, bien vert, bien arrosé. Dans une chaise longue, sur la terrasse, elle est en train de lire son roman. Assis sur une autre depuis trois albums, je ne sais toujours pas où se trouve le soleil. Ici, la chaleur est moins oppressante mais l'air a tout de même un certain poids. Elle me dit que nous aurions pu nous arrêter pour voir mes parents en chemin. Je n'aurais rien à leur dire ou j'aurais trop de choses à leur dire et si je le faisais ça ne serait plus des vacances.
Elle lit à voix haute les premiers mots de son roman qui sonne comme de l'humour anglais. Nous ne disons plus rien. Il n'y a que le silence et la musique. De temps en temps elle pouffe sur son livre derrière ses lunettes de soleil. J'essaye de me souvenir du nom du groupe que nous entendons. Je pourrais le lui demander mais cela romprait le silence. Je ne dis rien. Ce moment, cet état, se prolonge.
Putain de merde!
Mon écran s'éteint. Pas un mot, en couvrant le clavier, je souffle par le nez. Lèvres serrées et regard distant, je fais mine, en plissant les yeux, de voir quelque chose, au loin, de désagréable. La frustration est perceptible mais froide. Elle lève les yeux de son livre pour me regarder. On ne fait d'effort de dignité que quand on n’en a plus. La machine sous le bras, je quitte la terrasse en essayant de donner le change. Je marche lentement, sans dire un mot, feignant la décontraction et la nonchalance mais je sens bien que ça n'a pas pris.
Le texte est perdu. Retranché à l'étage, sur le rebord du lit défait, j'essaye de me remémorer les grandes lignes du passage disparu. À un moment, j'avais posé une question d'orthographe. C'est important, parce que j'en ai rien à foutre de l'orthographe. C'était juste pour parler. Le correcteur automatique aurait pu me faire une suggestion et la relecture aurait permis de dissiper toute ambiguïté ou imprécision. C'était un peu avant le silence musical. Je me souviens aussi qu'elle m'avait demandé, quand même, ce que j'avais. J'étais en train de monter les marches. Comme elle était loin, derrière moi, j'avais fait comme si je n'avais pas entendu. Je n'avais pas répondu. J'avais le fil du texte sur le bout des lèvres et je l'ai perdu en lui prêtant attention. Je l'avais perdu en pensant à la réaction qu'il fallait que j'adopte pour préserver le souvenir de ma rédaction. J'ai perdu le fil en essayant de ne pas le perdre.
Face à la porte-fenêtre entrouverte, je suis assis sur le bord du lit, dépité. Le rideau diaphane ondule entre elle et moi. On ne voit que la cime des arbres du jardin voisin et le ciel bleu, sans nuages. J'entends la place du village, la terrasse et une tondeuse. Si je fais attention, je distingue le bruit de la route, au loin. Il y a la même odeur ici qu'au salon mais plus poudrée. C'est un résidu de fond de teint qui se promène dans l'air. Je détaille les éléments du mobilier. Rien ne permet d'identifier l'origine de ce parfum cosmétique. L'air est trop lourd ici. L'ordinateur se rallume. J’ai perdu tout depuis 10 minutes mais ma dernière sauvegarde remonte à 4 minutes. J'en déduis que je passe les deux tiers de mon temps devant l'écran à ne rien écrire... peut être à ne rien faire.
Putain ! T'es conne !
Je lève ma tête de la copie que je suis en train de corriger. Elle est au fond de la classe, l'air agacé. C'est à elle-même qu'elle s'adressait. Le simple fait que je la regarde lui fait bredouiller une excuse machinale puis un sourire gêné. L'air hagard, elle cherche l'approbation de ses camarades de classe; un peu d'appui. Je fronce les sourcils et fais une moue de désapprobation avant de retourner à ma correction.
Ça n'a duré qu'un instant. Je me suis dit qu'elle avait pris sur elle d'employer deux mots qui la réduisait à l'expression la plus mesquine de la féminité. Une prostituée sale. Une femme qui pue. Une femme qu'on réduit à son odeur. Une femme qui n'est qu'un sexe, qu'un con, qu'une femme qui est son sexe féminisé. Je me dis que cette juxtaposition, courante pourtant, est un exemple terrible du manque d'estime de soi qu'ont mes élèves. Elles s’estiment comme la société les valorise. Ces mots, dont le sens est très fort et très violent, sont devenus des jurons, voire des onomatopées. Je les entends beaucoup mais ils me heurtent rarement et les heurtent encore moins que moi. Ce qui m'interpelle c'est que ça sorte de sa bouche et que sa gêne vienne de mon regard alors que la mienne vient du sien. Je me demande comment elle peut se sentir gênée. Je ne pense pas qu'elle lise dans ses mots ce que moi je lis. Un instant, je songe à faire une explication de texte. Parler de l'étymologie de ces mots, de leur sens profond et de leur portée dans le contexte. Je renonce parce que je n'ai pas envie de gérer ce que la timidité de certaines et l'incompréhension des autres va générer quand il sera rapporté aux parents que j'ai parlé de « connes » et de « putains » en cours. Je suis lâche. Je passe. Je me dis que je n'aimerais pas que ma fille dise ça d'elle ou de personne. Je me dis que c'est mon travail, ma mission. Je me dis que je suis sensé le faire mais que personne ne veut que je le fasse. La propriétaire de la copie s'inquiète de me voir immobile et me demande si je vais bien. Un sourire vers elle. Un regard vers la classe.
Reprenons.
La virgule moderne a été inventée au XVIème par un typographe vénitien. Il a aussi donné naissance au point-virgule et aux fontes en italique. Je ne sais pas s’il aurait eu une telle idée sachant dans quelle perplexité il plongerait les auteurs sur l’emploi et le positionnement de ces éléments de respiration dans leurs textes.
Je me souviens, j'avais écrit : "À peine arrivés, le tour du propriétaire effectué : vin blanc, rosé, charcuterie...". C'est tout. Je redescends. Je branche la machine sur le secteur et je reprends. Il est quinze heure cinquante-cinq et nous avons fait une salade de fruit. Il n’y a pas de porto. Pour accompagner le mélange de melons et pastèques, on boira du rosé.
Je me souviens : "Nous sommes". C’est L’orthographe du verbe dont je ne me souvenais pas et pour lequel j'avais rompu le silence il y a quelques minutes. Un verbe qui décrit une addition et un état d’existence commune. Un des mots les plus complexes de ma langue. Un de mes préférés. Mais je doute toujours des lettres qui le composent tant à chaque fois qu’il se recompose sous mes yeux sa polysémie me ravit. Comme si, inconsciemment je voulais revivre cette émotion génuine.
Nous étions restés éveillés jusqu'au lever du jour, vers six heures du matin. On parlait de nos vies. Épuisés, on a liquidé deux bouteilles de vin. On jouait avec les chats sur la terrasse. Sa favorite a une blessure au flanc et elle mord si on la touche. Elle cherche le contact mais devient agressive si les gestes sont mal placés.
Sous certains aspect, ma relation avec ma chatte ressemble à celle que certains ont avec leur épouse. Je note souvent son élégance et sa beauté naturelle. Je constate régulièrement l'attention qu'elle porte à son apparence, à sa tenue... Je lui manifeste ponctuellement mon affection et mon dévouement. Je joue avec elle parfois pour l'occuper, souvent pour l'agacer. Je déplore en permanence son manque de bienveillance à l'encontre de mes amis et sa promptitude à l'agacement, la jugeant, parfois même, tyrannique ou hyper-agressive. Elle râle beaucoup mais ça ne va pas souvent plus loin. Elle est surtout jalouse de mes amies. Elle n'aime pas qu'on me touche ou m'approche de trop près et elle le fait savoir. Même si elle est au premier abord avenante, elle termine toujours par lâcher un regard assassin ou un geste de dédain. Elle se laisse faire en général quand je la prends dans mes bras. Elle feule, des fois, et elle ne fait rien pour s'évader. Je crois que je pourrais lui faire ce que je veux, elle se laisserait faire. Au final, même si l'attachement émotionnel que j'ai pour elle est réel, ça n'est ni plus ni moins qu'une peluche qui fait caca et sent le poisson. J'ai aussi l'impression qu'elle est surtout là pour le gîte et le couvert. C'est un peu un doudou, un objet transitionnel. Je n'aimerais pas avoir ce genre de rapport avec une femme. J'aime vraiment ma chatte mais pas comme ça.
La rumeur qui vient du centre ville s'est tue. Plus de musique ou d'invectives du speaker, plus de tests de micro. Le clavier de l'ordinateur est beaucoup plus confortable que celui de la tablette mais je tape trop vite. J'ai besoin d’être ralenti. Le vent souffle sur moi en provenance de la maison. Sur le seuil, nous sommes assis à l'ombre et l'air chaud de l'intérieur fait contraste avec la brise légère qui court sur le béton à nos pieds.
Bière ou Rosé ?
Comme toi !
Tu lâches ta machine.
Je finis ce que je suis en train de faire.
Elle est toujours au fond de la classe. Toujours les joues rouges. Elle n'ose pas lever la tête de sa copie. Je suis passé à la suivante et je me dis que nous ne parlons pas la même langue. Nous avons les mêmes mots mais les sens que nous leur donnons divergent. Le sens qu'elles donnent à leurs mots m'échappe mais, je suis le professeur. Mon titre, ma position, ma fonction, font que le sens que je donne aux mots est hiérarchiquement plus juste que le leur. Il est légitime par force d’autorité. Cette violence de l'école, je l'ai vécue. Elle impose une vision autoritaire du sens qui brise les cultures. Elle prétend créer du lien mais on oublie de dire qu'elle le fait de force. Je me sens illégitime dans cet instant. Je suis convaincu que ce que je pense de ses mots est légitime mais je sais aussi que je ne comprends pas ce qui se passe dans sa tête et que, comme je suis le "prof", je ne le saurai sûrement jamais.
On trinque. Le blanc est d’un cépage qui me fait penser au Muscat. Hier soir ou ce matin elle m’avait dit son nom quand je l’avais confondue. J'ai oublié. Ce nom n'a aucune importance. Ce qui compte c'est que je me souvienne du moment associé à cet échange. Je pense que je n'aime pas tant que ça comprendre les choses. ce qui compte c'est de ressentir. Il n'y a pas grand chose qui existe dans ma tête comme un absolu. Tout est en relation avec autre chose. Le goût de ce vin me renvoie à un moment donné de mon enfance mais il pourrait aussi me renvoyer dans une file de supermarché. Je ne sais pas ce que nous allons faire plus tard puisque nous ne sommes pas allés à la plage. La table est mise.